Comme mentionné dans mon article sur la Journée internationale de la canne blanche, j’avais très envie d’écrire et discuter de mon propre cheminement vers l’utilisation d’une canne . C’est une aide qui reste relativement mal comprise et surtout, entourée de préjugés.
Moi-même, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre comment une canne pouvait m’aider et me faciliter la vie. J’ai très longtemps estimé que ce n’était absolument pas pour moi ! Et pourtant, malgré une longue hésitation, j’ai décidé de franchir le pas. Comment ? Pourquoi ? C’est ce que je vais vous expliquer dans cet article.
Le refus catégorique
Lorsque je suis sortie de l’adolescence, on m’a proposé à plusieurs reprises de discuter de la possibilité d’essayer la canne blanche. Mais je m’obstinais à me débrouiller toute seule et à refuser toute aide. Car accepter une aide, c’était également accepter de rendre visible un handicap que je m’étais efforcée des années durant de rendre invisible. C’était, dans un premier temps, assimiler une aide à un échec ou une faiblesse. Et cette possibilité était difficile à vivre ou à envisager.
Il était inconcevable pour moi de me rajouter des « bâtons dans les roues » alors même que je combattais à l’époque de nombreux démons au quotidien. Et puis, pourquoi aurais-je utilisé une canne ? Hormis pour me balader avec une grand flèche lumineuse signalant « handicapée » et anéantir tous mes espoirs d’une vie sociale « normale » ? (Petite digression : ceci est un exemple criant de validisme intériorisé, on en reparlera !)
Je ne voyais que des points négatifs, entretenus par une image péjorative et stigmatisante de la canne blanche.
Les premières questions
Pourtant, dans certaines situations, il devenait certain que cela pouvait m’aider : le soir, dans les administrations ou les hôpitaux. Lorsque j’arpentais des rues bondées ou des villes que je ne connaissais pas.
Il y a également ce jour où je me suis étalée dans la rue parce que j’avais confondu des lattes de parquet avec des morceaux de carton. Ce danger plusieurs fois évité de me faire faucher par un cycliste. Et ces autres jours où je me suis trompée de bus, où j’ai percuté un autre piéton ou un poteau.
Le manque de légitimité
Mais malgré ces nombreux petits évènements et ces questionnements, je n’étais pas prête. Et je me sentais encore moins légitime.
Je pensais à tort, comme beaucoup de gens à l’heure actuelle, que la canne blanche était destinée aux personnes aveugles. Point. J’étais loin de connaître la vérité.
En effet, en Belgique, toute personne présentant une déficience visuelle d’au moins 60% (pourcentage calculé selon le barème officiel belge des invalidités ou BOBI) peut demander une canne blanche. Je pouvais donc légitimement en faire la demande, puisque j’étais évaluée à 85%.
Mais moi, je restais fixée sur le fait que j’arrivais à me déplacer sans trop d’encombre la plupart du temps. Même si je regardais mes pieds constamment. J’ai donc balayé une nouvelle fois la possibilité de porter une canne blanche.
Le déclic
Quelques années ont passé pendant lesquelles je n’ai plus vraiment pensé à l’utilisation d’une canne blanche.
Et puis, au détour de quelques recherches sur YouTube, je suis tombée sur des vidéos publiées par une jeune femme malvoyante américaine : Casey Greer, de la chaîne HowCaseySeesIt.
Pétillante et positive, Casey raconte dans sa vidéo « Being Legally Blind and USING A WHITE CANE » (traduction : « être malvoyante et utiliser une canne blanche ») comment elle-même en était arrivée à utiliser une canne blanche alors qu’elle est malvoyante. Et quelle claque ! Je me suis reconnue dans ses phrases, ses situations. Pour elle c’était une évidence, et ça l’est devenu pour moi également.
Elle confie dans sa vidéo avoir eu une conversation avec une amie à elle, utilisatrice d’une canne blanche, qui lui a dit :
« Peut-être que tu ne trébuches et ne tombes jamais, ou ne heurtes rien, parce que tu es extrêmement prudente et que tu es constamment hyper consciente de tout ce qui t’entoures. »
Et de fait, elle affirme que cela la définit à 100% : elle est hyperconsciente en permanence lorsqu’elle marche. Et elle y est totalement habituée car elle fonctionne comme cela depuis toujours.
Elle explique également que lorsqu’elle marche, elle regarde le sol et ne voit pas ce qui arrive en face d’elle (tiens, cela me rappelle quelqu’un…).
C’est comme cela qu’elle en est venue à penser qu’avec une canne, elle serait capable de sentir les marches ou les obstacles tout en regardant devant elle pour la première fois. Qu’elle verrait le monde pendant qu’elle marche au lieu d’avoir le regard rivé au sol constamment.
Autant vous dire que ses paroles on fait écho à ce que je vis quotidiennement ! Quel soulagement d’entendre le témoignage d’une personne qui vit les mêmes difficultés et qui apporte, en plus, un regard décomplexé sur la canne blanche.
Mon petit état des lieux
C’est donc avec cette nouvelle mise en perspective que j’ai commencé à envisager l’utilisation d’une canne.
A ce moment-là, je vivais à Leuven, une ville du Brabant Flamand dont les routes étaient fortement pratiquées par les cyclistes. Ce qu’explique Casey dans sa vidéo, je l’expérimentais chaque jour.
J’avais de plus en plus de difficultés à naviguer entre les passants souvent distraits par leurs smartphones, les vélos, les trottinettes, les poteaux, tout en ayant les yeux au sol pour vérifier que je ne mettais pas les pieds dans un trou, une bordure ou autre.
Rares sont les personnes qui comprennent l’impact qu’une telle attention permanente peut avoir sur notre corps.
Car être dans cet état d’hypervigilance, c’est :
- Devoir sans cesse regarder le sol
- Mais regarder brièvement devant soi pour éviter les passants
- Estimer mentalement si la distance est suffisante entre la personne ou le poteau qui arrive (mais ne le savoir qu’au dernier moment)
- Prêter attention aux trottinettes et vélos que l’on ne peut anticiper puisqu’on ne les voit ni ne les entend pas.
Et toute cette attention induit fatalement une grande fatigue, une tension constante, son lot d’anxiété et de beaux maux de dos et de tête.
Ma décision
Après avoir longuement cogité et découvert moult autres témoignages sur YouTube et la blogosphère anglophone, j’ai décidé qu’il était temps de passer le cap. J’ai mis de côté mes croyances limitantes et ai entamé les démarches pour acquérir une canne blanche. Ou du moins, dans un premier temps, une canne d’identification (une chose à la fois, n’est-ce pas…).
Mais je dois vous laisser ici car la longueur de cet article est déjà conséquente ! Je vous raconterai donc la suite dans un prochain article. A bientôt !
Clairon dit
Bravo pour le début de cet article très intéressant. Cela permet de comprendre les nombreuses phases par lesquels passer avant d’accepter cette fameuse canne blanche . Merci à vous
Laetitia B dit
Merci pour votre commentaire et de m’avoir lue !
MarjoCosyra dit
Un très bon article, bravo pour ce témoignage criant de vérité. Comment dire que je m’y retrouve à 200% à la différence que tu as su trouver les mots pour exprimer des choses que je n’arrivais pas à expliquer / extérioriser.
J’ai aussi passé le pas de la canne blanche, bien qu’il m’arrive de sortir sans quand je ne suis pas seule. Mais quand je suis avec la canne, j’ai ce sentiment d’être plus décontractée et en sécurité.
Vivement l’article suivant.
Laetitia B dit
Merci beaucoup pour ton commentaire et retour, cela me fait vraiment plaisir que mes mots fassent écho !
Moi aussi je sors encore souvent sans, c’est une habitude que je dois prendre, mais avec les jours qui raccourcissent je pense qu’elle me sera très utile. Je ressens aussi plus de sécurité pourtant car je dois être moins aux aguets constamment face aux gens dans la rue.
Mertinetti Marie-Claire dit
J’ai eu la mm réaction à 21ans lors de la perte de mon oeil gauche celui du coeur 💔 et avec mon droit plutôt faiblard… blessée je l’ai refusée cette canne blanche et durant une trentaine d’années j’ai pu sans trop de dégâts 🙏 naviguer et travailler à peu près normalement 😎
Le plus lourd c’est la fatigue car ça bouffe énormément d’énergie et du coup j’ai aussi dû bcp dormir… 😪
Bravo à vous et heureuse continuation que je suivrai avec solidarité 💝
Laetitia B dit
Merci d’avoir commenté mon article ! Effectivement, la fatigue est omniprésente quand on a un handicap visuel et je trouve que c’est une conséquence dont on parle peu !
Autumn dit
Bravo pour cet article, je me retrouve dans tes mots et ton cheminement: je suis passé par là au lycée,l’acceptation a été longue surtout qu’à cette époque je voyais encore… puis un jour je me suis cognée dans la personne de trop qui m’a incendiée parce que je ne l’avais pas vue. Et j’ai accepté la canne de signalisation et ça m’a bcp aidé dans les endroits bondés. Je plaisantais souvent en disant que grâce à la canne, j’étais comme Moise devant la Mer Rouge, la foule s’écartait devant moi 😂
Après j’ai dû passer à la canne pour la locomotion quand j’ai perdu toute ma vue, mais c’est une autre étape. Merci pour ton article
Laetitia B dit
Merci pour ton commentaire, cela fait du bien de lire d’autres expériences. Malheureusement ici à Bruxelles, la canne de signalisation est peu connue. Du coup quand j’étais enceinte et que je ne voyais plus le sol, j’ai fait une demande pour obtenir une canne de locomotion. J’utilise plus la canne de locomotion pour me signaler que pour vraiment détecter des obstacles, mais elle a le mérite d’être reconnue et de me permettre de ne plus regarder mes pieds en permanence !