« Je suis malvoyante de naissance et j’en ai conscience depuis aussi loin que je m’en rappelle. J’ai toujours su que j’étais un peu différente, mais c’est aussi parce que cette différence a été très vite mise en évidence par les autres… C’est surtout à l’adolescence que ça été plus dur, parce qu’il y a des enjeux plus importants : la découverte de la puberté, les études qui deviennent plus complexes, l’avenir qui se dessine… C’est là où ça frappe, parce qu’on se rend compte qu’on ne pourra pas tout faire. »
Malgré des défis rencontrés au cours de l’année écoulée qui ont retardé la publication de cet article, il me semblait essentiel de partager aujourd’hui mon retour d’expérience sur cette campagne marquante.
« Partageons leur point de vue » : Une campagne de sensibilisation à la malvoyance
En octobre 2023 a eu lieu la campagne de sensibilisation annuelle au handicap visuel de l’association Eqla : la campagne « Ça nous regarde ». Et j’ai eu le plaisir et la fierté d’être une des ambassadrices de cette campagne.
Le projet était simple mais puissant : quatre panneaux pour adopter le point de vue d’une personne malvoyante avaient été installés à Bruxelles et en Wallonie : au Mont des Arts à Bruxelles, au Panorama de la citadelle à Namur, aux Jardins suspendus de Thuin et au point de vue du Tombeau du Géant à Botassart.
Ces quatre panneaux de sensibilisation correspondaient à la vue de quatre personnes malvoyantes : Julie, Alex, Roger, et moi.
Un Témoignage de vie
C’est sur la base d’une longue conversation, effectuée en toute intimité chez moi, avec la personne responsable du projet auprès de l’agence de communication Hungry Minds, choisie par Eqla, que mon panneau avait été créé.
« Je me forçais à être comme tout le monde. J’ai tout fait pour rester dans la norme, pour ne pas être rejetée… mais rétrospectivement, je me dis que j’aurais dû accepter l’aide à laquelle j’avais droit. Encore aujourd’hui, les gens ne se rendent pas compte de prime abord que j’ai un handicap visuel. Mentalement, il faut tout le temps compenser. Et devoir répéter que j’ai un handicap visuel, c’est épuisant. »
Tournage et reportage
Un samedi ensoleillé, accompagnée de mon amie Clémence, nous avons retrouvé l’équipe de l’agence de communication Hungry Minds ainsi que le porte-parole d’Eqla, Rafal, pour le tournage de mon reportage. Dès notre arrivée, l’accueil chaleureux de l’équipe nous a mis à l’aise.
Le parcours a alors commencé au Parc Royal, où nous avons partagé nos premières impressions au micro de l’équipe. En marchant dans les allées du parc, nous avons discuté des défis quotidiens que représente la malvoyance. Clémence, toujours attentive et encourageante, m’a aidée à exprimer mes ressentis.
Nous avons ensuite pris le métro, une expérience parfois angoissante pour une personne malvoyante, mais qui a toujours fait partie de mon quotidien. Les bruits, les mouvements et l’agitation constante peuvent être déstabilisants. Toutefois, j’ai expliqué comment j’ai appris à naviguer dans cet environnement grâce à des repères personnels.
La dernière étape de notre parcours nous a conduits au Mont des Arts, un lieu symbolique de Bruxelles. C’est là que l’un des panneaux de la campagne était installé.
En arrière-plan, la vue panoramique de la ville offrait un contraste impressionnant avec la vision limitée représentée sur le panneau. Cela a permis de montrer concrètement comment ma vision pouvait altérer la perception de ce panorama.
Tout au long de l’après-midi, l’équipe d’Hungry Minds a fait preuve d’une grande sensibilité et compréhension. Ils ont réussi à capturer mes émotions, ainsi que mes pensées, bien plus profondes que ce que je ne pensais. Ce tournage a été l’opportunité de partager mon expérience, mon quotidien et de sensibiliser le public avec authenticité.
L’importance de la sensibilisation
En Belgique, 1 personne sur 100 est malvoyante et pour une majorité, cela ne se voit pas. Souvent peu reconnue, la malvoyance est un handicap invisible dont les symptômes varient grandement d’une personne à l’autre.
La campagne « Ça nous regarde » a pour but de changer cela. Car sensibiliser, c’est bien plus qu’informer : c’est permettre à chacun·e de se mettre à la place de l’autre, de comprendre les défis quotidiens et d’adopter un regard plus bienveillant et inclusif. En offrant au public la possibilité de voir à travers nos yeux, la campagne espérait briser les préjugés et les idées reçues.
Pour moi, la sensibilisation est essentielle pour construire une société plus inclusive, où chaque personne, peu importe son handicap, peut trouver sa place et s’épanouir.
« Accepter l’aide, accepter de prendre le temps. C’est ok de ne pas s’entendre avec son handicap, de ne pas être content. J’ai longtemps été en colère contre mes yeux, en colère contre mon corps. Je pense qu’il faut prendre le temps d’apprendre à s’aimer. Et ne pas se fermer des portes, ou ne pas laisser certaines personnes fermer des portes. Parce que ça j’en ai eu aussi. Des gens qui disaient ‘Non tu n’en seras pas capable, ne te fais pas d’illusions’. Et en fait, on peut toujours avoir des illusions. On peut toujours essayer. Et si ça ne va pas on aura toujours essayé… Pourquoi ne pas essayer en fait ? »
Un impact personnel
Participer à cette campagne a été bien plus qu’un simple engagement pour moi. Pour la première fois, j’ai pu témoigner publiquement de ce que je vis au quotidien, en me libérant de la pression de dissimuler ou de minimiser mes difficultés.
En partageant ma réalité de manière aussi ouverte, j’ai ressenti un immense soulagement. Car en acceptant d’être vulnérable publiquement, j’ai non seulement sensibilisé les autres, mais j’ai aussi nourri mon propre cheminement vers une meilleure acceptation de moi-même et de mes limites.
Cette expérience m’a permis de transformer un vécu souvent invisible en une force de sensibilisation, et d’aborder ma malvoyance avec un regard plus apaisé, en embrassant autant mes défis que mes réussites.
Reconnaissance et remerciements
Le 30 mai 2024, la campagne d’Eqla « Ça Nous Regarde » a remporté le Grand Prix et le Prix de la Communication comportementale aux WB COM Awards. Ces Awards récompensent les meilleures campagnes de communication publique, mettant en avant l’innovation, l’ambition et la créativité des communicateurs, agences et autres professionnels du secteur.
C’est une belle reconnaissance pour l’équipe d’Eqla et l’agence Hungry Minds. Mais également pour nous, les ambassadeurs de la campagne, qui avons pris le parti de rendre visible nos handicaps, souvent invisibles.
Cette campagne fut, pour moi, une réussite et une belle expérience. Je remercie les différentes personnes qui nous ont fait confiance et accompagné. Ensemble, j’ose penser que nous avons changé les perceptions et fait bouger, un tant soit peu, les lignes.
Clara dit
Je t’ai connu à la sortie de l’enfance et début de l’adolescence et je ne t’ai jamais trouver différente ou anormale, je ne t’ai même jamais vue comme handicapée. Tu étais tout aussi « bizarre » et différente que moi et d’autres gens hypersensibles et qui ne rentrent pas dans le moule de notre société, mais rien à voir avec ta vision.
J’ai toujours été impressionnée par tout ce que tu étais capable de faire, ta force et détermination, ton envie d’être traitée comme tout le monde, sans traitement de faveur. Et ton handicap ne se voit pas. Je trouvais ça top, mais finalement ça ne l’est pas tant que ça, les gens cons ont besoin de voir pour croire, comme si tu allais t’inventer un handicap par pur plaisir, je ne comprend pas le délire…
Mais oui, tu dois accepter l’aide que tu mérites et a droit!