J’ai été confrontée à de multiples reprises, lors de mon enfance et adolescence, à des remarques concernant mon corps et ma « beauté ». Je n’étais évidemment pas à même de comprendre le sens exact des paroles entendues mais avec du recul, une certaine déconstruction, je comprends un peu mieux le poids de ces mots.
En tant que femme, la majeure partie d’entre nous a pu entendre un jour le fameux « il faut souffrir pour être belle » et on ne compte plus le nombre de fois où on nous a demandé de faire un effort, de sourire, de bien s’habiller, de se maquiller un peu pour telle ou telle occasion.
Mais en tant que femme handicapée, j’ai pu en entendre d’autres. Celles qui, pour moi, résument bien la problématique sont les suivantes :
« Il faut que tu fasses un effort pour être belle si tu veux plaire un jour malgré ton handicap »
« Tu es déjà malvoyante, il faut que tu fasses un effort sur le reste ».
Autrement dit, il fallait que je fasse un effort sur mon apparence si je voulais un jour plaire à quelqu’un parce que je partais avec un malus : mon handicap. On m’a encore une fois fait comprendre que pour s’en sortir, il fallait se conformer aux standards de la société.
Cela a été, pour la petite fille et adolescente que j’étais, une énième raison de penser que c’était perdu d’avance.
J’ai bien sûr conscience que ces paroles ne doivent pas être prises comme étant la pensée majoritaire et que cela n’est qu’un exemple issu de mon histoire personnelle. Mais elles tendent à exposer un certain courant de pensées.
La société, la norme et moi
Dans cette histoire, je n’ai « pas à me plaindre » car… J’ai un corps normé. Mon corps correspond aux « standards de beauté », aux normes sociétales. Je suis grande, mince, de type caucasienne. Mais, ayant une mauvaise vue, je me tiens mal, je regarde les choses de près et il m’arrive de loucher. Et ce simple détail, le fait d’avoir une attitude différente, un œil paresseux, est suffisant pour avoir entendu régulièrement des remarques.
Pour exemple, cette anecdote : alors que j’étais jeune adolescente, j’ai entendu des garçons de ma classe discuter. En tendant l’oreille, je me suis aperçue qu’ils listaient et notaient la beauté des filles de la classe. Alors qu’une des personne a évoqué mon nom, un autre a répondu « Bah non, tu sais, avec son handicap… ». J’étais purement et simplement éliminée de la course à la bonne meuf à cause de mon handicap. Aurevoir, confiance en soi.
La beauté restait dès lors un concept inaccessible pour moi. Et à l’heure actuelle, je suis encore marquée par un manque de confiance en moi tenace.
Il faut dire que les représentations de personnes malvoyantes ou aveugles dans les magazines et médias ne faisaient pas légion. Et, franchement, le sont-elles beaucoup plus aujourd’hui ? Non.
Invisibiliser le handicap pour mieux exister
J’ai donc grandi en faisant tout pour ne pas me faire remarquer ou pour qu’on ne remarque pas mon handicap. Et cela a plutôt bien marché puisque, 1) beaucoup de gens ne le perçoive pas et 2) j’ai déjà pu entendre que « j’ai de la chance » parce que cela ne se voit pas. Et honnêtement c’était un compliment pour moi à l’époque. J’avais réussi, j’étais comme tout le monde !
Mais comme je me méprenais… Pourquoi partir du principe que « c’est bien parce que cela ne se voit pas » ? Cela m’a-t-il réellement aidé ? Entre le fait que les gens l’oublient et le fait que mon handicap soit invisible, mes difficultés sont peu reconnues et mes besoins sont, dès lors, souvent niés.
Et d’un autre coté, en quoi cela serait-il si terrible que l’on perçoive mon handicap ? Pourquoi nous impose-t-on ce type de principe ? La réponse : parce que la société est discriminante.
Je n’ai pas de la chance parce que mon handicap ne se voit pas, je suis privilégiée.
Point validisme
Si mon œil louchait constamment et que j’utilisais ma canne blanche à chaque sortie, quel impact cela aurait-il sur mon quotidien ? Il y aurait-il des conséquences ? Mon peu de foi en l’humanité me font penser que oui, car trouver un job ou réussir un date Tinder serait une autre paire de manche.
Comme je l’expliquais dans mon article sur le livre « Je vais m’arranger » de Marina Carlos, le système de valeurs validistes place la personne valide, sans handicap, comme la norme sociale. Le handicap est dès lors perçu comme une erreur, un manque. La personne valide sera donc privilégiée par rapport à une personne en situation de handicap. Et c’est exactement ce que j’ai pu observer dans mon parcours.
Cela me questionne énormément. Car si moi j’ai déjà eu des réflexions alors que mon handicap est invisible la majorité du temps, qu’en est-il de la considération des personnes utilisant réellement une canne blanche tous les jours ou dont le handicap se voit ? On leur dit quoi, à ces personnes ? La réponse, je pense la connaître, pour avoir lu de nombreux témoignages. Et je peux vous le dire, c’est d’une violence inouïe.
MarjoCosyra dit
Personnellement, étant une « petite grosse » je ne suis pas dans les normes de la beauté, comme on dit si bien, et je n’ai jamais cru en ma capacité à être jolie. À la télé, les grosses à lunettes c’étaient les moches, du coup j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence à me dire que je ne pouvais plaire à personne et ne faisais pas d’effort pour être jolie : à quoi ça servait, vue que je partais déjà avec deux malus ?
Honnêtement, je n’ai jamais reçu beaucoup de brimades par rapport à mon apparence, mais c’était dans ma tête, point barre et en y réfléchissant, ça fait peur.
Patricia Englebert dit
J’espère et j’imagine que ces reproches, sur les propos : « Il faut que tu fasses un effort pour être belle si tu veux plaire un jour malgré ton handicap » / « Tu es déjà malvoyante, il faut que tu fasses un effort sur le reste». ne s’adressent pas à moi et que ces paroles ne venaient pas de moi… Parce que tu le sais, j’ai toujours eu une infinie confiance en toi, en ta beauté et tes capacités. Et tu as fait tes preuves… (ta maman)